"La parole à..."

Michel Boulet


Ancien Directeur Technique Routes et Directeur Régional du Centre de Nantes du LCPC (devenu IFSTTAR, puis aujourd’hui Université Gustave Eiffel), et ancien président du comité technique des caractéristiques de surface des routes, au sein de l’Association Mondiale de la Route (PIARC)


Vous étiez au cœur de la préfiguration des Journées Techniques Routes, lancées en 1989, à Nantes. Pourquoi avoir initié un tel événement dans une configuration assez restreinte lors de son lancement ?

Dans les années 1990, il y avait beaucoup d’événements et de rencontres techniques qui coexistaient à l’échelle du ministère, qui se dénommait alors ministère de l’Equipement (aujourd’hui ministère de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation). Nous avions lancé ces journées techniques, à destination seulement du ministère, de ses opérateurs et établissements de recherche (CETE , SETRA  et LCPC ). Ces journées ne répondaient alors pas à un besoin d’ouvrir les savoirs à tous, mais plutôt de partager et d’homogénéiser les connaissances techniques sur les routes et les infrastructures entre ces organismes techniques centraux et régionaux. Focalisées d’abord sur les chaussées routières (les journées s’appelaient alors Journées Chaussées), les thématiques se sont progressivement étendues aux conditions d’exploitation des routes (sécurité routière, équipements de la route, viabilité hivernale, nuisances environnementales), puis aux autres infrastructures de transport terrestre (chaussées aéronautiques et portuaires, plateformes industrielles, chaussées ferroviaires). Parallèlement, d’autres journées techniques s’organisaient dans le domaine des ouvrages d’art, et dans celui de la géotechnique.


A partir des années 2000, vous avez plaidé pour une ouverture de l’événement, notamment vers le secteur privé. Qu’est-ce qui a motivé cet élargissement ?

Initialement, la connaissance technique était principalement portée par les services techniques du ministère. Mais à partir des années 1990, le secteur privé s’est progressivement intéressé aux savoirs techniques et a fortement investi dans la recherche et le développement. Les entreprises voulaient acquérir une maîtrise et ne plus être seulement dans l’application.

Il me semblait alors indispensable d’ouvrir les JTR à l’ensemble des acteurs, entreprises de travaux publics et ingénierie privée, et toutes les maîtrises d’ouvrage (sociétés d’autoroute, départements, communes). Après la création, en 2010, de l’IDRRIM qui fédère les principaux acteurs publics et privés du domaine, la manifestation a été placée sous la triple tutelle de l’IFSTTAR (devenu depuis Université Gustave Eiffel), du Cerema et de l’IDRRIM. 

A ce moment-là, l’interface entre les acteurs publics, les entreprises et les chercheurs s’est consolidée pour répondre à ce double impératif de développer les connaissances et de donner aux services publics l’accès à ces savoirs pour la mise en œuvre de politiques publiques. 


Quels seront les sujets centraux abordés aux JTR dans les années à venir selon vous ?

Nous pouvons envisager au moins quatre perspectives importantes pour les prochaines Journées Techniques Routes. D’abord, les difficultés de l’accès aux matériaux de construction (granulats, liants,..) vont être croissantes, et les questions de recyclage de ces matériaux vont s’imposer davantage dans les échanges techniques. 

Par ailleurs, nous avons beaucoup abordé l’ERS (Electric Road Systems) cette année, mais il va se poser certainement la question de la limite de l’électrification : en termes de production et de fourniture de l’énergie nécessaire aux véhicules.

Les conséquences du changement climatique seront bien sûr une thématique constante, au regard de la récurrence et de l’intensité des événements climatiques fragilisant les infrastructures et les routes (gel/dégel, éboulements, inondations, etc.). 

Enfin, la contrainte financière sera aussi parmi les sujets centraux. Les enveloppes budgétaires consacrées aux infrastructures ont beaucoup évolué: les routes, qui étaient parmi les premiers postes de dépense au sein des Départements, n’occupent plus aujourd’hui que la 4e ou 5e place. L’enjeu de la construction et de l’entretien des infrastructures de transport à moindre coût et à qualité constante devient prépondérant.


Pourquoi, selon vous, est-il déterminant de maintenir et de développer des événements et des rencontres de cette ampleur ?

Cet événement annuel est unique, c’est le seul à l’échelle national dédié aux techniciens et praticiens de la construction et l’entretien des routes. Il permet la rencontre et l’échange entre les milieux professionnels et académiques. Les entreprises et les acteurs publics trouvent un intérêt à y assister pour aider à la définition et à la mise en œuvre de politiques publiques relatives aux routes et l’aménagement. Il est identifié par les acteurs publics territoriaux et nous observons une bonne représentation des Départements, ainsi que des Villes dont la participation augmente. La participation de certains services de l’Etat (DIR) et des organismes ou établissements de formation pourrait être un peu plus importante. 

Enfin, les JTR offrent aux chercheurs l’occasion d’identifier les besoins de connaissances nouvelles et de confirmer les finalités pratiques de leurs travaux. Il y a un enjeu public dans la recherche : la communication sur les projets de recherche, leur ouverture aux acteurs publics, et la réappropriation des résultats par la société constituent des objectifs nécessaires, voire obligatoires. Leur “vulgarisation”, au travers d’événements comme les JTR ou par le biais de la presse et des médias, contribue à la valorisation de la recherche auprès des décideurs. 

 

Interview réalisée par Manon SIRET (Univ. Gustave Eiffel) - 6/02/2025